La modélisation en architecture
Architecte ? Vous voulez dire ce métier consistant à froisser des boulettes de papier ou rafistoler quelques morceaux de carton sous forme d’une maquette dont l’équilibre tient du miracle, le tout non sans un certain contentement face au résultat accompli ?…
Tâchons de lire entre les lignes de cette vision ancrée dans l’imaginaire populaire, pour déceler derrière cette description caricaturale un point essentiel commun à tous les créateurs : le besoin de manipuler physiquement les formes et les matières, pour parvenir à une expression artistique claire. Le crayon et la gomme restent aujourd’hui des outils pertinents pour exprimer et itérer des idées de façon très immédiate.
Cependant, les évolutions technologiques, les multiples défis techniques et environnementaux, le respect des normes et le nombre croissant d’intervenants font qu’il est aujourd’hui difficile d’échapper à l’outil informatique, qui plus est dans le domaine du bâtiment et de l’architecture avec la généralisation des démarches BIM. Retrouver sur un logiciel 3D cette liberté de forme, proche de la modélisation ou de la sculpture organique, tout en s’inscrivant dans des échanges de données et le travail collaboratif, est un vrai plus.
Rhinoceros, forme libre et précision
Le processus de création et de conception de produits par le dessin porte le nom de modélisation directe ; lorsqu’il est assisté par ordinateur, on lui adjoint l’adjectif digital. Dans cette approche, l’utilisateur a donc à sa disposition une boîte à outils complète et intuitive, dont l’utilisation se rapproche du dessin à main levée. L’intérêt de passer au format digital est d’offrir plus de précision et de possibilités d’ajustements en cours de conception, tout en conservant une grande liberté dans les formes modélisées. Précision et en forme libre… Attendez, ne serait-ce pas là l’exact slogan de Rhinoceros ?
Comme d’autres, Rhinoceros se concentre sur la géométrie dans sa forme la plus pure et la plus abstraite : libre à vous de donner un contexte à cette géométrie. Les points, lignes, surfaces ou solides se voient attribués, dans le contexte d’un projet, des significations temporaires. Ainsi, le même outil de création de rectangle pourra aussi bien servir à créer un mur, une dalle ou un garde-corps… Et si l’envie vous vient de dessiner un paraboloïde hyperbolique et de décréter qu’il s’agit d’une toiture… rien ne vous en empêchera à ce stade, bien au contraire.
Cette approche n’est pas sans inconvénients. Dépourvue de tout garde-fou, elle conduit souvent à des formes non constructibles, ou incompatibles avec les normes. C’est également une approche qui se concentre sur le résultat, plutôt que le processus de modélisation dans sa globalité. Ainsi, il est souvent difficile de reconstruire les étapes et les choix ayant conduit à un certain design, uniquement à partir de l’observation du produit fini.
Enfin, c’est un processus chronophage lorsqu’on souhaite appliquer des modifications profondes ou tester des variantes, chacune nécessitant, sauf cas très particuliers, de recommencer toute ou partie de la modélisation.

Ceci nous conduit naturellement à évoquer les concepts de modélisation paramétrique et associative, deux notions souvent mises dans le même panier mais avec des différences notables.
La modélisation paramétrique, comme son nom l’indique, repose sur des paramètres, souvent des dimensions (longueurs, angles, quantités d’objets) qui sont modifiables, le plus souvent dans une interface dédiée, et qui contrôlent une géométrie. Pensez simplement à une porte dont vous pourriez contrôler, via deux curseurs, la hauteur et la largeur.
La modélisation associative consiste à créer des relations hiérarchiques entre les objets, à insuffler dans un modèle des notions de parenté, certains objets « enfants » étant directement influencés par leurs « parents ». Si l’on en revient à notre exemple de porte, il est assez probable que celle-ci soit attachée à un mur. Dans un processus associatif, une mise à jour des dimensions ou du positionnement du mur conduirait, de façon instantanée, à la mise à jour de la porte rattachée à ce mur.
Grasshopper et la modélisation algorithmique
Rhino en lui-même n’est pas un logiciel paramétrique, bien que certaines fonctionnalités s’y apparentent et puissent suffire dans des cas très simples, comme l’enregistrement d’historique ou les blocs. En revanche, Rhino est aujourd’hui indissociable de son module paramétrique Grasshopper, dédié à cette approche, et même au-delà, puisqu’il s’agit d’un outil de modélisation algorithmique, un spécimen dont il est quasiment le seul représentant dans l’univers de la 3D.
Cet outil révolutionnaire continue, plus de dix ans après sa création, de faire parler et d’impressionner. Il peut paraitre intimidant pour de jeunes âmes qui s’y frotteraient sans préparation : Grasshopper est un outil très riche, foisonnant de possibilités et d’un nombre incalculable de plugins pour des cas d’usage très variés… peut-être trop.
Dans Grasshopper, tout le processus de modélisation est contrôlé par une séquence d’opérations géométriques et/ou mathématiques. Des règles de construction, pouvant être parfaitement explicites, ou faire appel à des algorithmes d’optimisation voire de l’aléatoire, sont mises bout à bout et conduisent à la génération d’objets, dont la taille et la complexité peuvent aller d’une simple pièce mécanique à un bâtiment entier.
Les exemples d’application les plus immédiats sont des motifs avec des attracteurs ou les diagrammes de Voronoï qui poussent sur les façades modernes comme des champignons. Mais de manière moins visuelle, Grasshopper est, par essence, un outil paramétrique, qui permet la répétition d’opérations sur des quantités astronomiques de données, et de propager des modifications à travers un modèle. Son fonctionnement, qui force à structurer sa pensée et à choisir les bons outils, permet d’expliciter, de documenter naturellement le processus créatif.
Il est aussi un outil d’analyse puissant, permettant de tester des situations géométriques sur de grands projets, et éviter ainsi de se rendre compte après avoir finalisé un détail de façade que celui-ci ne fonctionne pas dans 95% des cas du projet. Les liaisons possibles avec des bases de données et ses grandes capacités de calculs le rendent également pertinent pour des analyses d’ensoleillement, des études de transport, des optimisations d’agencement…

Là où Grasshopper montre brutalement ses limites, c’est sur la gestion des cas particuliers, hélas si présents dans le secteur du bâtiment. Même si ceux-ci surviennent majoritairement dans les phases avancées d’exécution des projets, il est important d’être conscient que Grasshopper n’est parfaitement adapté que si les éléments obéissent à des règles clairement définies, explicites, et généralisables. Non, Grasshopper ne vous permettra pas de faire « presque exactement la même chose partout, mais pas au coin Sud-Est du quatrième étage, sauf les jours de pleine lune »… en tout cas, pas de façon simple qui conjugue robustesse et facilité d’édition.
Grasshopper ne fera pas non plus le travail de conception à votre place. Il est illusoire de chercher à automatiser des tâches qui ne sont pas définies de façon la plus complète et claire possible. Pour en exploiter tout le potentiel, il impose donc une réflexion en amont et une recherche de standardisation, ainsi qu’un minimum de rigueur logique et mathématique. Moyennant une bonne compréhension des principes de base, ces termes effrayants sont vite mis de côté, laissant place à un champ des possibles qu’une vie ne suffira pas à explorer.

VisualARQ et Lands Design, les outils métier
Rhino et Grasshopper offrent à eux deux une liberté totale de création. Néanmoins, on peut leur reprocher un certain éloignement des métiers qu’ils adressent ; et cela est valable quelque que soit le secteur d’activité envisagé. Que vous soyez architecte, urbaniste, designer ou bijoutier, vous aurez accès aux mêmes outils, aux mêmes commandes, sans spécialisation ni fonctionnalités dédiées à vos attentes.
Divers modules complémentaires peuvent néanmoins s’ajouter à Rhinoceros, le plus souvent moyennant finance, et le premier qui vient en tête est évidemment VisualARQ, dédié aux architectes. Celui-ci offre une méthodologie de modélisation basée sur des objets, c’est-à-dire des éléments ou des sous-ensembles d’éléments 3D concrets, dont les divers paramètres résonnent dans l’esprit de l’utilisateur.
Ainsi, dans VisualARQ, un mur est un mur, une porte est une porte, un toit est un toit ; et même si de façon sous-jacente, ces éléments sont tous construits à partir d’un volume géométrique abstrait, ce dernier est doté d’attributs, une forme d’intelligence qui différencie ces objets, et permet de les répertorier comme tels. Une hiérarchie des éléments se construit donc naturellement et permet une lecture du projet moins abstraite.
Aux portes du BIM, VisualARQ ajoute, en plus des outils de modélisation de Rhino et de ses propres outils, des possibilités de processus de travail très orientées métier, avec la génération de nomenclatures, plans, plannings et coûts directement reliés au modèle.

Son petit frère, Lands Design, offre la même approche mais dédiée aux paysagistes, avec la possibilité de générer des terrains, des routes, de la végétation, implanter du mobilier urbain et cartographier des espaces de circulation. De la même manière, tous ces éléments se résument en leur cœur à des maillages ; mais l’intelligence apportée par les attributs rend possible la création de dépendances. Par exemple, un arbre se positionnera automatiquement au niveau altimétrique d’un terrain, si celui-ci a été référencé comme tel.

Ces solutions offrent un pas certain vers la modélisation paramétrique et associative, mais avec la contrainte néanmoins que les possibilités sont restreintes au bon vouloir des développeurs. Il est en effet extrêmement difficile de contenter tous les utilisateurs et leurs requêtes parfois très spécifiques, sans tomber sans des usines à gaz dont Autodesk a le secret. L’utilisation de blocs prédéfinis est donc un gain de temps et de simplicité indiscutables, mais dans la limite du champ des possibles.
Il est important d’être conscient de ces limites, et savoir adopter la bonne démarche si on souhaite les outrepasser, que ce soit par un retour à une modélisation directe des cas particuliers, ou l’emploi de Grasshopper pour décupler les possibilités paramétriques, au prix de quelques centaines de composants.
Il faut également noter que, du fait de l’utilisation d’éléments 3D spécifiques à ces logiciels, les exports sont souvent plus restreints vers d’autres solutions, se contentant d’une géométrie « morte » sans lien, ou des pertes de données.
Pour aller plus loin...
Le site officiel de VisualARQ, dont la nouvelle version (2.13) est sortie il y a quelques semaines.
Le site officiel de Lands Design avec des exemples concrets d’applications du logiciel à ce domaine si particulier.
Maxime, mentor Form2Fab.
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